30 Janvier 2018
Un couple serbo-monténégrin a été jugé en assises pour la mort de leur bébé de 3 mois constaté en mai 2015. Les débats gérés avec énergie et rigueur par la présidente Marie-Cécile Thouzeau, face à des accusés impassibles et inexpressifs aux personnalités d’autant plus difficiles à saisir que la barrière de la langue et le filtre des traducteurs ne permettait que des échanges parcellaires.
Un jour de mai 2015 vers midi, Alisa arrivait à l’hôpital d'Epinal dans les bras de son père, en état de mort cérébrale. Elle décédera des suites d’une hémorragie intracrânienne, résultat probable du syndrome du bébé secoué. L’expertise des médecins révèlera aussi l'existence de plusieurs fractures sur l’enfant, survenues à différents moments : des fractures aux côtes plus ou moins anciennes selon leurs consolidations, ainsi qu’une fracture du fémur et du pied plus récentes. La sœur jumelle du bébé décédé présentait également différentes fractures. Le médecin légiste est formel : les blessures ne peuvent pas être accidentelles et ont été obligatoirement engendrées par de la violence. Mais l’heure à laquelle ont eu lieu les gestes mortels – à 4H du matin selon les déclarations de la mère, à 11H selon les déclarations du père au tribunal qui accuse lors de l'audience la mère d'avoir secoué l'enfant 15 minutes- n'a pas pu être établi.
Principal suspect, Suad Gorcevic, de 37 ans d'âge est dépeint par les infirmières comme un père au comportement adapté, impliqué dans la vie de ses enfants. Son avocat Me Renaud Gérardin, qui le décrit comme quelqu’un de calme et réfléchi, tenait à rappeler que c’est ce père qui avait pris en charge l’enfant inconscient et qui l'a conduit à l’hôpital. Pourtant, selon l’expert psychiatre, Suad Gorcevic est un personnage clivant : il sait se tenir en public et gérer son image, mais au sein du cercle familial son comportement peut être très différent.
L’avocat de E.M., Me Olivier Boulanger, dépeint l'épouse de Suad comme une femme meurtrie par la vie : elle a épousé Suad Gorcevic - pensant qu'il avait envie de fonder une famille- mais leurs rapports ont changé radicalement après la naissance de leur fils aîné, jusqu'à être violents vis à vis de ses enfants. Après le transport aux urgences d'Alisa , entendue une première fois par la police, la mère déclarait pourtant qu’il ne s’était rien passé. C’est seulement lors de sa deuxième audition, - alors qu'elle avait été laissée libre à la différence de son époux incarcéré- que conseillée par un requérant d'asile d'origine bosniaque et un intervenant social, elle accusera le père de ses jumelles de mauvais traitements, expliquant avoir été menacée par son mari si elle disait quelque chose. Interrogée sur sa passivité face aux mauvais traitements de son conjoint sur leurs enfants, son avocat l'explique par le fait qu'elle était sous le joug de son mari dominateur.
Une assertion qui est complété par le profil psychologique d'E.M..Selon le psychologue, c'est une femme intellectuellement limitée, d'âge mental peu élevé, s’approchant de celui d’un enfant de neuf ans. Les infirmières témoignent et affirment qu’elle avait des gestes inappropriés envers ses enfants. Déjà suivie avant les faits et conseillée pour s’occuper de ses bébés, cette mère n’y arrive pas, s’y prend mal et apprend difficilement. L’épouse est qualifiée psychologiquement de personne inadaptée en tant que mère. Son avocat Me Boulanger soutient qu’elle aime ses enfants, qu'elle a besoin d’aide mais qu’elle n’a jamais été violente. Le doute devant lui être profitable face aux accusations récentes de son mari. Quoi qu’il en soit, ses enfants lui ont été retirés et confiés aux services sociaux du département, à la suite du constat par les enquêtrices de défaillances dans les soins apportés à ses enfants.
Encourant potentiellement jusqu'à 30 ans de réclusion criminelle, il a fallu près de quatre heures de délibérations pour que la décision soit rendue par le tribunal populaire. Suivant les réquisitions de l’avocate générale Léa Beauchière , le jury d'assises a condamné Suad Gorcevic à une peine de 15 ans de réclusion criminelle et a prononcé la relaxe son épouse. Une peine qui a laissé imperturbable le père de famille, une forme d'aveu que d'assumer cette charge sans manifestation de surprise, ou une incompréhension pathétique de sa situation.
Harley Collinson